Écotaxes régionales : « Il n’est rien que le temps ne puisse affaiblir et vaincre »
24 mars 2021
Ce n’est plus un secret, le projet de loi « Climat et Résilience » propose dans son article 32 de permettre aux Régions d’instituer « des contributions spécifiques assises sur la circulation des véhicules de transport routier de marchandises ». Si le mot n’est pas employé, probablement pour ne pas raviver les colères du passé, personne ne s’y trompe, ce texte vise à faire renaitre de ses cendres le dossier de l’Ecotaxe.
Et pourtant, comme le rappelle notre édito du 17 mars, loin de tout intérêt écologique, « à cette seule évocation d’une écotaxe régionale, voire départementale, les appétits de recettes nouvelles s’aiguisent pour les capter dès que possible ». Sans en tirer les leçons du passé, les grandes annonces fleurissent de nouveau. On nous parle de la taxation du seul véhicule en transit, de la taxation sur des portions de route, de compensations faites aux entreprises françaises pour n’impacter que les seuls véhicules étrangers, autant d’idées lumineuses qui se heurtent déjà à des décisions de justice que nos élus feraient mieux de ne pas ignorer.
C’est ainsi qu’une décision de la Cour Suprême Espagnole du 3 mars 2021 déclare nul le péage instauré pour les camions de plus de 12 tonnes sur la N1 et l’A15 à GUIPÚZCOA. En effet, la Cour considère cette Ecotaxe espagnole comme discriminatoire, car elle taxe les sections d’entrée et de sortie du territoire dans une plus grande mesure et uniquement sur les véhicules de plus de 12 tonnes. En d’autres termes, la Cour décide qu’il n’est pas possible de taxer des portions de routes et/ou un type de tonnage de véhicules.
Par ailleurs il est bon de se souvenir que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a retoqué, le 18 juin 2019, le projet de péage autoroutier qu’avait prévu de mettre en place l’Allemagne au grand dam de ses voisins. La CJUE a ainsi donné raison à l’Autriche, qui avait pris la tête des pays limitrophes hostiles à cette vignette dont la mise en application était prévue en octobre 2020. Selon l’arrêt rendu, cette mesure concernant les véhicules utilisant des routes fédérales, dont les autoroutes, est « contraire au droit de l’Union ». En effet, l’Allemagne envisageait que les véhicules nationaux bénéficient d’une compensation prenant la forme d’une exonération d’une autre taxe, à hauteur d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance litigieuse. Du fait de cette exonération, la CJUE estime que la redevance allemande « constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité et une violation des principes de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services ».
L’article 32 de la loi « Climat et Résilience » a donc été adopté après un débat « dense et intense » de… 11 secondes !!! par la Commission Spéciale où seuls 70 députés participaient à l’élaboration du texte. Mais celui-ci ne sera soumis au vote solennel de l’Assemblée en séance plénière probablement qu’à la mi-avril. La loi n’est donc pas encore votée, même si les débats se présentent mal. Mais comme disait Roosevelt, qui s’y connaissait un peu, « les seules batailles perdues sont celles qu’on ne livre pas ! ».
Imaginer que nous puissions être de simples spectateurs passifs en laissant s’instaurer, sans lutter, la mise en place d’un dispositif mortifère pour nos TPE PME et ETI du transport routier de marchandises, serait bien mal nous connaitre. Car tout ceci est intolérable pour les entreprises de la filière qui non seulement sont déjà éco-responsables mais ne veulent pas être sacrifiées au profit de l’alibi écologique.
Quand bien même la loi serait adoptée en l’état, la mise en œuvre de ces écotaxes ne sera pas pour autant acquises par les Régions qui devront alors répondre au casse-tête du « comment faire ? » et à la légalité du dispositif qu’elles entendront mettre en œuvre. Elles devront également s’entendre entre elles par mesure de cohérence nationale, car comme le dit la décision de la Cour Suprême espagnole, il est discriminatoire de taxer différemment et par portion…
Alors quand nos élus vont-ils enfin nous écouter ? Quand vont-ils enfin renoncer à cette indigestion fiscale ? Quand vont-ils faire confiance à un secteur investi depuis 30 ans dans un modèle de transport vertueux et écologique ? Quand vont-ils s’apercevoir de sa participation effective au développement de l’actuel réseau de distribution de GNV ou de bornes de rechargement électrique ? Quand feront-ils le bilan des entreprises du secteur dans l’investissement et dans l’acquisition de véhicules performants en matière d’émission de gaz à effet de serre ? Enfin, quand feront-ils enfin confiance dans un secteur stratégique et vital, indispensable à l’indépendance et à la souveraineté économique de la France ? Quand ?
Le combat sera long, très long et ne s’arrêtera pas à l’adoption ou non de cette loi environnementale qui n’en porte que le nom. Comme l’écrit l’OTRE PACA dans un récent communiqué de presse « Nous pourrions opposer que les professionnels peuvent aussi descendre dans la rue et bloquer la France pour sauver leurs entreprises de l’indigestion fiscale. Voilà un schéma ancestral de contestation, anxiogène pour le citoyen, mais qui n’apporte rien de positif dans le contexte économique actuel du pays ».
Nous n’en sommes donc pas encore là, même si la colère et l’exaspération montent très fortement dans les territoires. Mais il est garanti que nous mettrons tout en œuvre pour éviter que cette mesure fiscale injuste ne s’applique un jour. Comme le dit Sophocle, « Il n’est rien que le temps ne puisse affaiblir et vaincre ». Faisant nôtre cette citation, nous ferons nous aussi preuve de résilience…
Jean-Marc RIVERA